La chimère du « gouvernement resserré »…

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Avec une constance qui défie les Républiques, le refrain de la nécessité d’un « gouvernement resserré » réapparaît dans les éditoriaux et les commentaires politiques. Pourtant, il ne verra pas plus le jour demain qu’il n’a pu hier exister.

En effet, si son étymologie en est oubliée depuis longtemps (de minus, le minister est celui qui est moins qu’un autre, le serviteur d’un autre, le contraire du magister, celui qui est plus, le maître), sa fonction reste centrale dans l’architecture gouvernementale et son importance numériquement conséquente en dépit des proclamations initiales.

Ainsi déjà en 1918, Léon Blum dans ses « lettres sur la réforme gouvernementale » décrétait que « le nombre des ministres à portefeuille ne devrait jamais dépasser dix« . Las, son gouvernement du Front Populaire installé le 5 juin 1936 en compta 20 auxquels il fallait ajouter 14 sous-secrétaires d’Etat…

Sous la Vème République, la moyenne des ministres s’établit à 35 sans compter le Premier d’entre eux. Pourtant, en resserrant l’analyse à l’étude des « ministres de plein exercice« , on descend à 16,8 qui s’occupent invariablement des mêmes compétences : économie et finances, affaires étrangères, intérieur, justice, défense, agriculture, travail et affaires sociales, éducation nationale, santé, culture, équipement et environnement à partir des années 70…

D’où vient alors cette inflation aboutissant à des gouvernements pouvant compter jusqu’à 49 ministres (gouvernement Rocard de 1988) ? Pourquoi, s’écrient les bonnes âmes ne parvenons nous pas à imiter nos voisins allemands (17 ministres avec la Chancelière) ou italien (16 ministres pour le cabinet Renzi) ? Pourquoi les seuls gouvernements à faible effectif comme celui de François Fillon nommé en mai 2007 qui se résumait à 20 membres ne durèrent qu’un mois ?

Il faut alors rétablir d’abord la réalité numérique de nos partenaires. En Italie, il faut ajouter 9 ministres adjoints et 37 sous-secrétaires d’Etat auxquels le Président du Conseil et les ministres dit « de cabinet » ont délégué bon nombre de compétence. De même, en RFA, la sphère gouvernementale intègre 33 secrétaires d’Etat « parlementaires » membres du Bundestag dont 3 sont rattachés directement à la Chancelière…

En France, la composition d’un gouvernement répond ensuite à une volonté politique d’incarnation d’une majorité dont chaque composante doit compter des représentants. De plus, son architecture se veut révélatrice des priorités à assumer tout autant qu’une attention à des sujets nouveaux. C’est ainsi qu’apparurent – éphémèrement – au fil des gouvernements un secrétariat d’Etat au « Patrimoine et à la décentralisation culturelle » sous le gouvernement Jospin ou un autre dédié « aux droits des victimes » dans celui que dirigeait JP Raffarin en 2005.

Enfin et surtout, les sollicitations qui découlent de la fonction ministérielle sont telles qu’il est matériellement impossible de l’assumer pour un seul individu. J’observe par exemple la lourde servitude que représente pour l’emploi du temps des ministres les demandes hebdomadaires des 8 commissions de l’Assemblée tout autant que la durée de nos débats dans l’hémicycle !

On peut même faire l’hypothèse qu’un gouvernement resserré aboutirait concrètement à laisser une très grande marge de manœuvre aux cabinets qui épaulent les ministres voire aux administrations centrales placées sous leur autorité. Comment en effet chaque jour écouter, travailler, arbitrer, concilier, présenter et défendre des politiques publiques sans déléguer largement ? Et dans ces cas là ne vaut-il pas mieux s’en remettre à un ministre délégué ou à un secrétaire d’Etat plutôt qu’à un collaborateur ou un haut fonctionnaire ?

Voilà pourquoi, je ne crois pas à cette rengaine. Au mieux, demain, le Président rétractera le nombre de ministres de plein exercice (16 pour Jospin de 97 à 2000, 16 pour celui de Raffarin, 17 pour celui de Villepin, 15 pour Fillon…) mais il ne pourra se passer de ministres délégués et de secrétaires d’Etat. Cela pourra modifier la présentation médiatique mais ne masquera pas la réalité gouvernementale.

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2 réponses à La chimère du « gouvernement resserré »…

  1. Ping : Quelle conséquence de la défaite de la gauche à l’Assemblée | Les cuisines de l’assemblée - Lexpress

  2. Vernet dit :

    Merci pour cette brillante démonstration !

    Ce n’est pas en diminuant le nombre de personnes qui travaillent et qui assument les responsabilités que l’on améliore le fonctionnement d’une organisation.

    Il en va de même pour un gouvernement !

    Heureusement qu’il y a des élus qui ne cèdent pas au prêt-à-penser médiatique habituel !

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