Statut pénal du Président

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elysee.jpgJacques Chirac fête aujourd’hui ses 74 ans. Je ne sais quel cadeau il recevra mais il en est un que l’Assemblée pourrait lui offrir : tenir enfin une de ses promesses en votant le projet de loi constitutionnelle réformant le statut pénal du Président. En effet, le 4 octobre dernier, Jacques Chirac avait souhaité que « soit rapidement soumis à la commission » ce texte présenté en conseil des ministres le 2 juillet…. 2003 !!!

L’UMP va-t-elle enfin tenir l’engagement de Chirac pris pendant la campagne électorale en 2002 ? Tout avait pourtant commencé très vite. Dès le 4 juillet 2002, une commission présidée par Pierre Avril était installée afin de « résoudre de manière objective » les difficultés d’interprétation de la Constitution. Composée de 11 juristes dont G. Carcassonne, L. Favoreu, F. Luchaire, D. Maus, P. Truche, D. Soulez Larivière, elle rendait son rapport le 12 décembre 2002. Puis 6 mois après, le Conseil des ministres adoptait un texte révisant le titre IX de la Constitution et tendant à une nouvelle définition de la responsabilité du chef de l’Etat. En octobre 2003, D. Perben déclarait qu’il serait rapidement inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Mais depuis, plus rien.

Ce texte n’est pour autant pas parfait. Son ambition est d’étendre l’immunité du Président à toute action devant toute juridiction ou autorité administrative. Ce qui l’amène à changer de nature. Ce n’est plus la fonction présidentielle mais la personne même du Président qui est protégée.

Car comment justifier autrement que le Président puisse être à l’abri de toute action civile ou administrative pour des faits étrangers à sa fonction ? Au nom de quels principes constitutionnels interdirait-on pendant 5 ans, à des justiciables d’exercer leurs droits civils contre un Président qui aurait manqué à ses obligations dans la sphère privée ?  Par exemple pourquoi l’épouse du Président ne pourrait-elle demander le divorce contre son mari adultère ?

Pareille impunité me semble injustifiable.

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10 réponses à Statut pénal du Président

  1. Trés bon article sur ce blog que je lis tous les jours !
    En effet, pourquoi le Président est-il ‘intouchable’ ? Cependant – mais je ne suis pas spécialiste en la matière – si l’Assemblée devait voter ce projet de loi, y aurait-il rétroactivité de la loi en ce qui concerne M. Chirac ?

  2. noël dit :

    Comme le président n’a plus à exercer de droit de grâce, il s’accorde pour lui même la grâce…présidentielle, en nommant à un poste clé, un ami de longue date, qui ne lui cherchera pas des poux dans la tête.
    Non lieu général.

  3. Michel dit :

    Effectivement une promesse de plus que J. Chirac ne tiendra pas.
    Mais on en serait pas là si les parlementaires socialistes avaient leur devoir en 2001 en assignant J. Chirac devant la Haute Cour, ces affaires auraient été tranchées. Courage, courage, quand tu nous fuis…

  4. Excusez-moi, mais la Haute Cour de Justice ne doit-elle pas uniquement juger le Président pour Haute Trahison ?

  5. Roger Keromnes dit :

    La question qui se posera à la fin de son mansat est l’amnistie pour les faits qui lui sont reprochés. Si nous gagnons pouvons nous laisser la justice suivre son cours? Je n’ai pas d’atomes crochus avec le personnage mais nous devons nous poser la question du scandale à l’étranger et la perte de prestige de la France en cas de condamnation de l’ex président.

  6. Certes, mais que pensera le Monde si l’ex-Président est amnistié alors qu’il a tout de même commis des infractions ? La prescription est suspendue et doit reprendre son cours normal dès qu’il ne sera plus président. Cependant, je ne crois pas qu’il soit un jour condamné pour quoi que se soit, étant donné son âge, il a le temps de courir d’appel en appel, et quand on connaît la rapidité de la justice en France… Bref, poursuivi ou pas, il ne lui arrivera rien, au pire, il aura droit à un ou deux ans d’inégibilité ! (rires)

    Pour ce qui est du prestige de la France, je crains qu’il ne soit déjà bien entamé, entre la crise des banlieues, Clearstream, le CPE, la dette collossale, Airbus et son A-380, Outreau… Il me semble qu’on ait pas grand chose pour se vanter !

  7. noël dit :

    Et pourquoi ce droit de grâce attaché au président? Pourquoi un droit suprême au dessus des autres droits? Des autres jugements, c’est encore un reste du pouvoir royal! Ce droit met en cause les capacités de la justice à exercer pleinement ses prérogatives.
    Je suis pour la supression de ce droit archaïque, même utilisé à bon escient.
    Encore une anomalie à corriger.

  8. On ne m’a toujours pas répondu à propos des socialistes qui auraient du faire juger Chirac devant la HCJ en 2001 … Qu’en est-il ?

    Réponse de JJU :

    Le 21 avril 2001, Arnaud Montebourg a cherché à traduire le Président de  la République en haute cour. Il fallait pour cela recueillir la signature de 58 députés – soit 10% des membres de l’Assemblée nationale – pour enclencher cette procédure, jamais utilisée sous la Ve République.
    Il n’y parvint pas, ne rassemblant qu’une trentaine de paraphes dont 19 socialistes. Le PS estimait en effet, c’était le porte parole de l’époque Vincent Peillon qui l’expliqua que ce n’était pas le bon chemin pour mener le combat politique. On peut retrouver le reportage de France 2 sur le site suivant :

    http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&mc=Devedjian,%20Patrick&num_notice=3&total_notices=41

    Sur le fond, l’initiative de Montebourg, qui s’appuyait sur l’article 68 de la Constitution, posait pourtant problème. Cet article est ainsi rédigé: «Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées parlementaires statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant: il est jugé par la Haute Cour de justice.» Ce texte souffre de deux lacunes. D’abord, il ne définit pas la haute trahison. Bon nombre de juristes estiment, en effet, que c’est à la Haute Cour d’apprécier souverainement ce que recouvre cette notion. Néanmoins, certains professeurs de droit en ébauchent une définition: selon Jean Gicquel, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, la haute trahison est «un manquement grave du chef de l’Etat aux devoirs de sa charge, tels qu’ils sont énoncés à l’article 5 de la Constitution, ou, si l’on veut, en cas de violation manifeste de la Constitution».

    Autre source d’interrogations, qui contraint les constitutionnalistes à se transformer en grammairiens: les deux phrases de l’article 68 sont-elles liées grammaticalement? Si oui, elles ont pour effet de rendre le chef de l’Etat justiciable de la Haute Cour uniquement dans le cas de haute trahison. Dans cette hypothèse, les délits susceptibles d’être reprochés à Jacques Chirac, non liés à l’exercice de son mandat de président, ne peuvent évidemment pas être assimilés à des actes de haute trahison et, à ce titre, doivent être examinés par des tribunaux ordinaires. C’est la thèse soutenue par Olivier Duhamel, professeur de droit public à l’université Paris I.

    Cette analyse a déjà reçu une application concrète au moins à deux reprises. Ainsi, le 3 décembre 1974, le tribunal correctionnel de Paris s’est reconnu compétent pour juger le chef de l’Etat – en l’espèce, Valéry Giscard d’Estaing – poursuivi pour affichage électoral illégal, lors de la campagne présidentielle, du 8 au 14 avril 1974. A l’époque, il est vrai, Giscard n’avait pas voulu invoquer l’immunité pénale du président de la République et s’était fait représenter par son avocate devant la 17e chambre correctionnelle de Paris. Son adversaire avait été débouté. De même, en 1979, le tribunal correctionnel s’est estimé compétent pour juger la plainte d’écologistes contre Giscard. Celui-ci s’était fait déposer en hélicoptère sur une réserve naturelle interdite de survol.
     

    En revanche, d’autres professeurs de droit, tel Guy Carcassonne, soutiennent une thèse différente: les deux phrases de l’article 68 de la Constitution sont autonomes. Aussi le chef de l’Etat ne peut-il être mis en accusation, que ce soit pour un délit mineur (délit routier, par exemple) ou un délit comme la prise illégale d’intérêts, que par un vote de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ce débat entre juristes n’a toujours pas été tranché. Il ne pourrait l’être que par la Cour de cassation, qui, pour l’heure, n’a jamais été saisie.

  9. Merci de ces précisions qui ont éclairé ma lanterne. Le sujet reste donc en discussion, difficile de trancher pour une des solutions …

  10. Michel dit :

    Les incertitudes juridiques sont levées par le juge, souvent c’est même pour cela qu’on le saisit…
    L’exposé de Jean-Jacques est presque exhaustif, depuis le Conseil Constitutionel a confirmé dans une décision relative au Traité de Rome instautant la Cour pénale internationale que le chef de l’Etat bénéficait d’un « privilège de juridiction » (La Haute Cour seule compétente durant le mandat), la Cour de cassation a également eu l’occasion de préciser que la prescription des poursuites était suspendue durant l’exercice du mandat : autrement dit tant que Chirac est président on ne peut le poursuivre devant une juridiction ordinaire, mais dès qu’il redevient un simple citoyen, l’action pénale peut être lancée.
    Sur la dizaine d’affaires dans lesquelles J. Chirac était cité, une seule permettrait de le faire condamner : celle des emplois fictifs de la mairie de paris (la même qui a envoyé Juppé au québec), puisqu’il existe une lettre signée de la main du président, alors maire, qui atteste de sa connaissance du système. Toutes les autres affaires ont été prescrites ou annulées grâce aux bons offices de Me Spitzner et du cabinet noir qui a su débusquer des vices de procédures qu’une justice en manque de moyens n’a pu éviter.
    Mais rassurez vous, bientôt ce sera de la responsabilité pénale du Premier Ministre dont on parlera…

    PS : intéressante cette vidéo de Peillon, mais à l’époque il n’était pas le seul socialiste à rechigner. Il ne fallait pas « affaiblir la fonction » que Lionel Jospin briguait, nous disait-on alors.

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