Décryptage de l’extrême sophistication du raisonnement du Conseil Constitutionnel

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La décision du Conseil Constitutionnel d’hier soir sur la compatibilité du Traité sur la coordination, la stabilité et la gouvernance (TSCG) avec la Constitution va faire le bonheur des juristes.

Le degré de sophistication du raisonnement qui conclut à une possibilité d’adoption en droit français sans besoin d’une révision de la Loi Fondamentale est tel qu’il mérite – non pas des commentaires, puisque la décision s’impose heureusement à tous les pouvoirs publics aux termes mêmes de l’art. 62 de la Constitution – mais pour le moins un éclairage pour que chacun en saisisse la portée.

Soulignons préalablement que si le Président de la République a jugé nécessaire de saisir le Conseil, c’est naturellement parce que les termes mêmes du Traité n’allaient pas de soi quant aux contraintes qu’il ferait peser sur le gouvernement et le parlement.

Le premier point longuement analysé : la disposition qui impose aux Etats un objectif de 0,5 % de déficit structurel est-elle une atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ?

Le Conseil répond par la négative estimant que cet objectif s’inscrit finalement dans la continuité de ceux que le Traité de Maastricht puis plusieurs règlements européens de 1997, 2005 et 2011 avaient fixés (de 3 de déficit total à 1 % de déficit structurel) auparavant. Ici même j’avais développé une interprétation différente reposant notamment sur les modifications des règles de majorité permettant l’engagement de ces mécanismes. Dont acte.

Second point savamment décortiqué : est-il indispensable d’introduire dans la Constitution la fameuse « règle d’or » ?

Le Conseil juge que comme l’équilibre budgétaire est contenu dans le traité lui-même et que ce traité aura demain une valeur supérieure à celle la loi (art. 55 de la Constitution), il s’imposera de lui-même. Point n’est donc besoin d’en rajouter.

Troisième point : fallait-il, par contre, y faire figurer les dispositions qui doivent permettre d’assurer la mise en œuvre de cette « règle d’or » ?

Sans entrer dans le détail complexe d’une argumentation extrêmement charpentée, le Conseil dispense le gouvernement de s’y lancer. De façon subtile, il estime que puisque le Traité prévoit que le mécanisme de correction devant être mis en place (sur la base des principes communs proposés par la Commission européenne) ne dépend, dans ses modalités et sa mise en œuvre, que des autorités nationales, il pourrait parfaitement figurer dans une loi organique. Plus simplement dit : puisque le Traité a prévu une alternative, il faut en tirer les conséquences. Il valide ainsi explicitement la lecture qu’en faisait François Hollande.

Enfin, dernier point : le fait que la Cour de justice de l’Union européenne puisse demain contrôler le respect des mesures prises pour assurer l’objectif d’équilibre n’a-t-il pas pour effet de limiter les compétences des pouvoirs publics constitutionnels (gouvernement et parlement) ?

Rien de nouveau pour le Conseil qui n’y voit qu’un mécanisme classique dans l’ordre européen. C’est d’ailleurs sur ce point que la démonstration est la plus raffinée puisque le juge constitutionnel estime qu’il en aurait été autrement si le mécanisme permettant de mettre en œuvre la règle d’or avait été inscrit dans la Constitution puisqu’on aurait alors permis à cette juridiction européenne de connaître de notre Loi fondamentale ce qui n’aurait pas été admis sans révision constitutionnelle l’autorisant… CQFD. De la belle ouvrage.

Cette décision est adroite et respectueuse de la nécessité que ce traité soit effectif, et finalement très « réaliste » au plan politique européen, ce qui est évidemment une qualité. Le parlement va donc être saisi – probablement à la fin septembre lors d’une session extraordinaire – d’un projet de loi autorisant la ratification du traité et du projet de loi organique que vient d’annoncer le Premier Ministre.

NB : je n’ai pas repéré de réaction mettant en cause le Conseil Constitutionnel. Les controverses sur son rôle furent pendant longtemps un rite assez logique puisque ses décisions le placent au coeur de l’arbitrage politique. Que ceux qui regrettent cette décision n’entonnent pas cette ritournelle doit être salué comme la marque d’un progrès de l’Etat de droit.

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3 réponses à Décryptage de l’extrême sophistication du raisonnement du Conseil Constitutionnel

  1. seb dit :

    La décision du Conseil Constitutionnel, même si elle est cosmétique, est assez cohérente…Même si l’on peut être frustré à sa lecture.
    **Sur le renforcement de la discipline budgétaire : il est normal que le Conseil Constitutionnel ait considéré que celui-ci était constitutionnel. D’une part, cette discipline est actée par traité (1). D’autre part, ledit traité a été ratifié par référendum (2). Enfin, les parlementaires Français – les autres législateurs européens ne sont pas aussi coulants ! – ont accepté d’être dépossédé de leur prérogative de contrôle budgétaire, en n’exigeant pas de l’Exécutif, un passage devant le Parlement, pour l’adoption de règlements européens.

    Autrement dit, le Conseil Constitutionnel ne pourrait changer d’avis sur la question que si, et seulement si, le Législateur demandait/exigeait de l’Exécutif, qu’à l’avenir, aucun engagement de nature budgétaire/financière ne puisse être exercé sans son consentement. Un nouvel élément venant changer la donne, les règlements européens antérieurs s’appliqueraient toujours…Mais ceux à venir devraient nécessairement passer devant le Parlement.

    **Sur la règle d’or, le Conseil Constitutionnel est et demeure cohérent. L’article 3 du traité présentant deux options : soit une disposition contraignante et permanente (1), soit une autre façon de garantir le respect, au long des processus budgétaires (2) mais pas nécessairement contraignants et permanents.

    Autrement dit, le Législateur sera contraint…Sans l’être. Introduire la règle d’or dans la Constitution, cela signifierait que demain, n’importe qui (enfin, je résume) pourrait utiliser le Conseil Constitutionnel, voir le Conseil d’Etat, pour faire annuler des dispositions contraires à ces règles contraignantes. Dès lors que la contrainte apparait dans une loi de programmation ou/et dans un traité…On remet à plus tard le bras vengeresse de la justice européenne ! Et puis, M. BARROSO a montré sa compréhension ! Il ne saisira jamais la CJUE sans tergiverser. Et comme toute mesure plus contraignante nécessitera un Congrès…Inutile de dire que la règle d’or vaudra autant pour M. HOLLANDE que le traité de Lisbonne qui interdit théoriquement le renflouement des banques par la BCE (1) et par les Etats (2) sans parler de la solidarité financière…Tout aussi interdite (3).

    La décision du Conseil Constitutionnel est donc cohérente juridiquement parlant. On ne saurait en dire autant sur le plan politique…M. HOLLANDE ayant décidé de prendre ses électeurs pour des truffes ! Où sont les améliorations promises au juste ? Le TSCG – et tout ce qui s’en suit – n’étant en rien compensés par le pseudo pacte de croissance (ratatinée) du Président actuel. (Qui vaut autant que les serments sur l’Evangile de Jean Sans Peur)

    Juridiquement, vous pouvez adopter ce traité. Mais politiquement, comment pouvez vous rompre avec le mandat que vous avez reçu ? Reste t il des socialistes « de gauche » (parce que des socialistes de droite, çà on en trouve partout : socialiser les pertes pas de problème !) véritables au PS ?

    Pourquoi, aussi, ne pas chercher à défendre les prérogatives de l’Institution que vous représentez (Parlement) ? On peut être « serviable » sans être « servile »…Soutenir le Gouvernement, sans lui accorder une confiance aveugle…A lui ou à autrui.

    Ne pourriez vous pas, éventuellement, négocier avec le Gouvernement la chose suivante :

    –ratification des deux traités : TSCG et MES (le MES est illégal pour l’heure)

    En échange (et comme préalable à ladite ratification)

    –introduction d’un « codicille » (ou d’un texte interprétant les traités, à l’image de ce qui a été fait pour la partie II du TCE) protégeant les droits des parlementaires (pas de difficulté : vous prenez ce que la Cour de Karlsruhe a dit pour son Parlement)
    –reconnaissance par la CJUE de la primauté des coutumes constitutionnelles françaises…Et notamment du « caractère SOCIAL de la République »

    En faisant cela, vous préservez les prérogatives parlementaires, vous donnez satisfaction au Gouvernement…Et vous projettez le « social » dans la politique européenne (qui ne marche qu’à l’austérité généralisée avec les bons résultats qu’on sait !)

    http://contrelacour.over-blog.fr/article-mes-le-juge-constitutionnel-allemand-nous-rappelle-la-servitude-des-parlementaires-fran-ais-107175154.html

    http://www.droitconstitutionnel.org/congresParis/comC1/JossoTXT.pdf

    On y gagnerait tous.

  2. Nic dit :

    Mr Urvoas, en réponse à votre NB  » je n’ai pas repéré de réaction mettant en cause le Conseil Constitutionnel » Pour ma part j’ai repéré au moins une réaction qui met en cause la décision du Conseil Constitutionnel au hasard d’un article publié dans la revue Marianne du 24 août. Il s’agit de l’avis d’Anne Marie Le POURHIET qui est professeur de droit et Vice présidente de l’association française du droit constitutionnel.
    Je vous invite à consulter son article sur le lien suivant

    http://www.marianne2.fr/Le-Conseil-constitutionnel-invente-la-regle-d-or-non-contraignante_a221662.html

  3. Yann dit :

    Bonjour Monsieur Urvoas,
    Un peu partout sur le net circule l’information selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait dans sa séance du 10 août, invalidé la baisse de 30% des salaires présidentiel et ministériels. J’ai cherché à en savoir davantage sur internet, mais, mis à part une multitude de sites et de forums qui reprennent la même info, je n’ai trouvé ni démenti, ni mise au point émanant d’un élu socialiste. Pouvez-vous m’en dire davantage sur la réalité de cette information et le cas échéant, le devenir de cet engagement présidentiel. Merci.

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