Guy Môquet

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histoire.jpgLe Président de la République, qui s’est fait une spécialité d’exploiter à toutes les sauces symboliques le moindre évènement a décidé, via une directive publiée au Bulletin officiel de l’Education Nationale du 30 août dernier — que tous les ans, dans tous les lycées aurait lieu le 22 octobre une lecture obligatoire de l’émouvante lettre d’adieu du jeune communiste fusillé par les nazis.

Dans l’esprit de son promoteur, une telle célébration vise à réunir la communauté nationale autour d’un symbole fort, et plus précisément encore à susciter l’admiration de la jeunesse, à laquelle on prétend ainsi offrir, comme l’a écrit le ministre de l’éducation, « un formidable exemple ».

Difficile, a priori, d’y trouver à redire. Et pourtant l’annonce de cette manifestation a déclenché un véritable tollé : au point qu’au lycée de Cornouaille où j’avais initialement accepté de me rendre pour y participer, les professeurs ont décidé de boycotter cette manifestation. Je ne m’y rendrai donc pas.

Mais il faut évidemment s’interroger sur les raisons d’une telle levée de boucliers.

D’abord, sans nul doute, parce qu’il s’agit là d’une injonction du Président de la République. L’autonomie des équipes éducatives est ici balayée, et l’on peut même sans doute dénoncer, à l’instar de l’historien Jean-Pierre Azéma, une entreprise qui, en raison de son dirigisme, confine à bien des égards à une « caporalisation mémorielle » extrêmement préoccupante.

Ensuite parce que la lecture d’une lettre, aussi émouvante soit-elle, peut certes entraîner la compassion ou susciter un sentiment d’identification, mais ne permet pas d’appréhender une époque dans toute sa complexité. En sortant ce document de son contexte, on tend en quelque sorte à réduire la Résistance à la seule perspective du sacrifice. On érige Guy Môquet lui-même en héraut de valeurs – la famille ou la patrie – dont on sait l’usage qu’en ont fait ses tortionnaires. On élague tout ce qui, dans sa vie comme dans son environnement, révèle d’éventuels points de dissension susceptibles de fragiliser la belle unanimité autour de cette construction symbolique censée incarner l’identité nationale : son engagement communiste, la position de son parti jusqu’à l’invasion de l’URSS en 1941, son arrestation par la police de Vichy…

Personnellement, j’avais pourtant décidé, après force hésitations, de participer aux cérémonies du 22 octobre. Non pour cautionner l’événement, mais pour rappeler que la mémoire d’un homme, par essence complexe, ne peut qu’en sortir dépréciée si on la résume à une vertu, fût-elle celle du sacrifice patriotique ; non par conformisme ou paresse intellectuelle, mais pour souligner qu’il appartient seuls aux historiens de dire l’Histoire, – une Histoire que le Pouvoir n’hésite jamais à instrumentaliser s’il y trouve son intérêt ; non par indifférence à l’égard d’un martyr victime de la barbarie, mais pour lui redonner sa place, dans toute son humanité, parmi tous ceux qui, confrontés au déluge de fer et de feu, ont su rester dignes jusqu’à leur dernier souffle. Tous méritent notre admiration.

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10 réponses à Guy Môquet

  1. René dit :

    La lettre de Guy Mocquet est émouvante mais c’est vrai qu’en soi elle n’a rien d’historique. Cette lettre pourrait être celle d’un adolescent malade qui sent sa fin proche.
    Lorsque vous dites et d’autres le disent que l’Histoire doit être dit par les historiens je reste perplexe car les historiens ont écrit l’Histoire bien différemment suivant les lieux, les périodes et les individus eux-mêmes par exemple les historiens révisionnistes ou staliniens pour ne citer que les extrêmes connus et reconnus

  2. Piero RAINERO dit :

    Je regrette la forme et le fond de cette initiative de Nicolas Sarkozy et je comprend les réticences, et certains arguments, des enseignants. Une telle injonction dans le champ pédagogique est inacceptable.
    Je sais que si Guy Môquet n’avait pas été communiste, engagé très tôt dans un groupe de résistance créé par les Jeunesses Communistes et le PCF à Paris, il fut arrêté le 13 octobre 1940, les réactions eurent été les mêmes; son appartenance politique n’a rien à voir.
    Je ne peu pour ma part accepter ce patriotisme mal placé, cette instrumentalisation sarkosienne de l’histoire à des fins politiques.
    En effet rendre hommage à l’une des figures les plus pure de la Résistance ne peut faire oublier les choix sarkozystes de briser l’héritage progressiste, et toujours moderne, du programme du CNR (Conseil National de la Résistance) et de vouloir restaurer les « valeurs » pétainistes de sinistre mémoire.
    rendre hommage à G. Môquet et à tous ceux qui comme lui se sont, très tôt, dressés contre les nazis, c’est aussi rappeler les valeurs d’émancipation humaine et de liberté qui animaient leur action; c’est une question de respect à leur égard et de vérité historique.
    C’est le sens de la cérémonie que les communistes quimpérois organisent lundi 22 octobre à Quimper au pied de la stèle érigée, Place Blaise Pascal en 1990, sous la municipalité de Bernard Poignant, à la mémoire des 2 premiers résistants fusillés par les Allemands à Quimper, Emile le Page et Pierre Jolivet; ils avaient 19 et 20 ans.

  3. Il y aura 60 ans, le 28 novembre, le Général Leclerc disparaissait dans un accident d’avion près de Colomb-Béchar. Cet officier de cavalerie exemplaire a fait prisonnier en mai 1940. Blessé, il a été à nouveau fait prisonnier avant de s’évader une seconde fois, et rejoindre le Général de Gaulle à Londres.
    Le libérateur de Paris et de Strasbourg, une des figures de cette France qui a fait le sacrifice d’elle-même contre ce que la politique peut offrir de plus horrible et destructeur aurait été un symbole tout aussi fort, et le 60è anniversaire de sa mort une occasion. Mais sa récupération politique est beaucoup plus délicate, « l’ouverture » prônée n’y apparaissant pas en filigrane.

  4. Le 28 mai 1802, se voyant perdu devant l’avancée des troupes de Napoléon, Louis Delgrès et ses 300 compagnons se suicident à l’explosif sur les hauteurs de Saint-Claude en Guadeloupe. Leur devise était « vivre libre ou mourir ».
    Nicolas Sarkozy entend imposer la lecture de la lettre de Guy Môquet, un document dont l’intérêt historique est plus que discutable. Si l’objectif était bien de rendre hommage à ceux qui eurent le courage de choisir la Résistance, pourquoi ne pas avoir alors privilégié « L’Affiche rouge » d’Aragon. Ce texte-là aurait eu un intérêt pédagogique. Peu importe, les professeurs d’histoire-géographie n’ont pas attendu Monsieur Sarkozy pour faire ce travail.
    J’en profite pour rappeler que l’enseignement de l’esclavage n’apparaît pas dans les programmes officiels du secondaire… en tout cas pas en métropole.

  5. noël dit :

    Vous signale en pa25 du Monde de vendredi 19 oct un article d’un psychiatre Xavier Pommereau; spécialiste du suicide des ados qui analyse la lettre de guy Môquet.

    Perso, dans la famille nous avons une lettre d’un jeune résistant tout aussi émouvante.

  6. Jacques Canevet dit :

    Je viens de lire la lettre sur le site du Figaro. Effectivement , la charge émotive est excessivement forte, et je partage l’avis que cette lettre s’adresse à une mère un père des intimes en tout cas. Et je comprend mieux maintenant la réaction « saine » des profs et en particulier d’histoire, car il me semble que cette lettre peut être évoquée comme d’autres documents , mais sur le plan « éducatif » une lecture aux élèves d’un simple document adressé à des parents n’est pas le bon support, pour parler de la résistance. C’est ramené un acte de courage physique évident (s’engager dans une lutte armée contre un adversaire plus nombreux et mieux équipé) à un acte suicidaire . En mettant en relief cette émotion ,le Chef de l’État ne met pas en lumière le rôle de se même État dans l’arrestation de se jeune communiste (comme d’autre jeunes communistes ou FFI ) ni l’implication du ministre de l’intérieur du gouvernement de collaboration dans le choix des fusillés (pour ne pas fusillés 50 bons Français comme il dit http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_M%C3%B4quet. Résister ce n’est pas suicidaire bien-au contraire c’est naturel, les communistes très tôt avec leurs structures , leur organisation ont résister aux nazis car ils se sont donner les moyens de le faire , et les français leur doivent un hommage ! C’ est la collaboration qui m’étonne , combien de résistants aux temps de Guy Môquet ? Avoir peur c’est naturel c’est même une bonne chose , mais s’organiser se rassembler autour d’une idée d’un projet , c’est ça qui fait de l’homme autre chose qu’un animal apeuré , et d’ailleurs je me demande si ce n’est pas cela la civilisation, la culture , Faire ensemble !

  7. fricotin dit :

    Récupération,
    Contre récupération
    Contre-contre-récupération,
    Symboles, valeurs, morales contre morales, valeurs et symboles
    Guy, adolescent valeureux, sensible et aimant
    Repose en paix

  8. Aristide dit :

    Guy Môquet et ses camarades d’infortune semblent avoir été les victimes d’une politique volontariste du ministre de l’intérieur de l’époque (Pierre Pucheu, un ambitieux qui se serait bien vu à la place du chef de l’état vieillissant…). Cette politique consistait à devancer les demandes des allemands pour garder un minimum d’initiative. En livrant les prisonniers de Chateaubriant, il les choisissait lui-même parmi les opposants à Vichy. C’est effectivement un « formidable exemple » pour peu qu’on ne se limite pas au seul aspect compassionnel pour la jeune victime.
    C’est ce que nous devrions faire en permanence: ne pas nous laisser enfermer dans une conception émotionnelle du monde et dans les politiques simplistes qu’elle suggère.

  9. arnodu dit :

    En ces temps où démagogie rime souvent avec sensiblerie, voici un article qui replace
    les événements douloureux de notre histoire dans leur véritable contexte.
    http://www.historia-nostra.com/index.php?option=com_content&task=view&id=582&Itemid=60

  10. nico dit :

    un peu tard mon commentaire!mais entre la police française qui venait arreter les français et les recherches d’adn quelle différence entre les deux périodes?En presque 70ans où est le progrès de civilisation?

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